Fermer les institutions culturelles locales pendant des mois prive le public et laisse les salariés dans la précarité. D’autres pistes méritent d’être explorées : n’est-ce pas l’occasion de proposer des expériences de visite à public restreint ?
- Libération, le 16 avril 2020 (https://www.liberation.fr/debats/2020/04/16/deconfinement-pour-un-acces-a-la-culture-dans-les-territoires_1785316?fbclid=IwAR35j3fpo86fXxVOnI3CJMrdXZ74ukN64pA-oY0B9VDJUngODkfWNeJP7OY)
Tribune. Les pouvoirs publics ont annoncé que les établissements culturels ne rouvriront pas leurs portes avant au moins un mois. Si les équipements publics ne voient pas leur existence menacée et si les grands festivals ne disparaîtront pas, il n’en va pas de même – au-delà de la situation déjà fragilisée de nombreuses associations – pour deux autres ensembles d’acteurs essentiels à la vie culturelle et sociale de notre pays.
D’une part les artistes, pour lesquels des difficultés spécifiques ont déjà été identifiées par de nombreux professionnels. D’autre part, les personnes chargées de l’action éducative, sociale et culturelle, sur laquelle nous souhaitons attirer l’attention en raison de leur moins grande visibilité. En effet, nombre de projets socioculturels conduits, non seulement dans les équipements culturels, mais également dans les prisons, les hôpitaux, les quartiers et les lieux destinés à la jeunesse sont mis en péril et – à travers eux – les personnes chargées de les concevoir et de les mettre en œuvre, souvent dans le cadre de contrats précaires qui les laissent aujourd’hui entièrement démunis et sans perspective d’accéder aux rémunérations qu’ils auraient dû percevoir.
Par ailleurs, s’il est compréhensible que les grands musées et monuments de réputation internationale soient actuellement fermés au grand public, il ne va pas de soi que les institutions culturelles locales doivent être condamnées à la fermeture totale pendant plusieurs mois, privant ainsi nombre de citoyens de ressources essentielles. D’une part, certains d’entre eux accueillent habituellement des publics en nombre limité. D’autre part, pour la plupart, ils ont l’habitude de gérer les flux de visiteurs dans des conditions de sécurité satisfaisante. Enfin, des systèmes de réservation en ligne permettraient de recevoir un nombre de personnes défini à l’avance.
D’ailleurs, qui ne rêverait d’un tête-à-tête avec une œuvre de maître, un objet scientifique rare ou une pièce archéologique unique ? N’est-ce pas là l’occasion idéale pour les institutions culturelles de proposer des expériences inédites et privilégiées, aussi bien aux membres des sociétés d’amis, aux curieux et aux amateurs qu’aux personnes en difficulté (individus en situation de handicap, personnes sous main de justice, familles isolées, jeunes déscolarisés, etc.) ?
Cet épisode singulier de possible calme contemplatif ne représente-t-il pas un moment opportun pour créer avec le public de proximité des projets culturels qui font sens dans cette période d’interrogation, d’examen de conscience et d’introspection ? Puisque les équipements publics doivent de toute façon être maintenus en ordre de marche et de parfaite sécurité, ne faudrait-il pas laisser les maires – au plus près du terrain – être juges de leur capacité à accueillir avec toute la prudence requise ces publics de proximité, dès lors que les mesures de confinement seront progressivement levées, selon une gradation encore difficile à apprécier aujourd’hui ?
En tout état de cause, accepter leur fermeture complète pendant une durée de plusieurs mois ne reviendrait-il pas à négliger leur rôle civique et de cohésion sociale, tout en courant le risque de mettre en péril un ensemble d’intervenants (artistes, médiateurs, responsables d’action culturelle…) qui pourraient ne pas survivre à la crise sans précédent que nous traversons ?
Jean-Michel Tobelem est l’auteur de La culture pour tous. Des solutions pour la démocratisation Stéphanie Vergnaud Anthropologue, directrice de Culturevia , Jean-Michel Tobelem Professeur associé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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