L’association générale des conservateurs des collections publiques de France (AGCCPF) a réalisé un travail considérable, inédit et de grande ampleur sur la situation des musées français, qu’il convient de saluer.
On relèvera en particulier les points suivants :
- La démographie du corps des conservateurs est particulièrement inquiétante, avec d’importants départs à la retraite qui ne seront pas compensés par la formation d’un nombre au moins équivalent de conservateurs du patrimoine.
- Certaines missions de base ne sont pas assurées dans beaucoup de musées, faute de moyens suffisants (conservation préventive, réserves, récolement…).
- On court le risque d’un système à deux vitesses, entre des très grands établissements aux résultats brillants, d’un côté ; et, de l’autre, des musées plus modestes qui peinent à survivre avec très peu de visiteurs.
- La location des œuvres devrait être interdite (conformément du reste au code de déontologie des conservateurs).
- Les hausses tarifaires que l’on observe dans de nombreux musées et monuments sont contestables.
Les conservateurs prouvent en outre qu’ils savent pratiquer l’auto-critique et qu’ils sont en mesure de proposer des recommandations constructives.
Si nous partageons nombre des constats de l’association, nous craignons toutefois que cet important travail ne suffise pas à enrayer la marginalisation progressive des conservateurs, ce qui – au-delà des questions intéressant cette seule profession – pourrait être de nature à affaiblir la mission même des musées (http://www.lemonde.fr/culture/article/2011/02/04/les-conservateurs-denoncent-la-mutation-des-musees_1475002_3246.html).
Nous attirons à cet égard l’attention sur les points suivants :
- L’influence de l’AGCCPF (qui réunit conservateurs du patrimoine et attachés de conservation) est limitée du fait de l’absence d’une association réunissant l’ensemble des professionnels des musées, comme cela existe dans la plupart des autres pays ; peser sur l’opinion, l’administration et la représentation nationale est d’autant plus difficile. Cela devrait donc constituer un chantier prioritaire pour l’association si le monde des musées veut affirmer avec force ses positions dans le champ social.
- La question de la formation est mentionnée comme devant faire l’objet de nouvelles réflexions ; mais rappelons qu’elle ne saurait se limiter à la question de la réforme des études à l’Institut national du patrimoine (ou au CNFPT s’agissant des attachés de conservation), car la formation continue devrait également faire l’objet de la plus grande attention.
- Le Livre blanc ne semble pas dénoncer clairement le recours réguliers à la location d’expositions (conçues avec un objectif financier pour être présentées contre paiement dans une autre institution).
- L’association prend-elle position suffisamment nettement s’agissant du recours à des personnes qui ne sont pas des spécialistes des musées pour diriger de grandes institutions muséales, à rebours des pratiques des grands pays développés ?
- L’association croit pouvoir mettre en cause l’instauration de la gratuité dans certains musées, au prétexte que cela constituerait un élément anti-« concurrentiel » entre établissements ; c’est une erreur, l’association devant sans doute approfondir à l’avenir sa réflexion à cet égard.
- Enfin, l’AGCCPF appelle de ses vœux des études d’impact économique : comme le savent les économistes, c’est là se tromper de solution ; la justification de l’existence et du financement public des musées ne se trouve pas dans leurs effets économiques (qui existent bien entendu mais demeurent limités), mais bien dans leur rôle culturel, éducatif et social qu’il importe de réaffirmer.
- C’est pourquoi nous regrettons que le Livre blanc n’indique pas suffisamment – et avant toute autre chose – de quelle manière les musées répondent (ou pourraient encore davantage répondre) à des besoins fondamentaux de nos sociétés, en particulier par leur ancrage éducatif, qu’ils partagent notamment avec les bibliothèques comme cela est parfois oublié.
Nous souhaitons quoi qu’il en soit vivement que l’association – qui indique que ce Livre blanc constitue une première étape de l’action qu’elle a entreprise – sera entendue des pouvoirs publics afin d’éviter une instrumentalisation du monde des musées qui ne pourrait que lui être dommageable.
Pour terminer, à l’heure de la diffusion sur l’Internet de nombreuses ressources documentaires, on peut s’étonner que l’AGCCPF – qui souhaite intervenir dans le débat citoyen – ait choisi de mettre en vente ce document au prix de 25 euros. Est-ce là la meilleure façon de faire connaître ses idées ?
Pourquoi ne pas mettre en ligne la version électronique du rapport sur le site de l’association (http://www.agccpf.com) et inviter les parties prenantes concernées à faire part de leurs réactions et de leurs suggestions ?
A lire également : http://www.latribunedelart.com/livre-blanc-des-conservateurs-la-balle-est-dans-le-camp-du-ministere-article002986.html.
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