Mon idée pour la France : « Pour un plus grand accès à la culture »

« Le Monde » a demandé à des contributeurs de tous horizons de proposer, chaque jour, une idée pour changer la France. Afin de réduire les inégalités culturelles, l’universitaire Jean-Michel Tobelem propose d’optimiser l’offre existante, mais aussi de revoir les modalités de gouvernance des institutions culturelles.

Publié le 25 mars 2019 à 12h00

Tribune. Nombre de nos concitoyens profitent d’une offre culturelle riche et diversifiée, résultat d’un important investissement des collectivités publiques et des initiatives du secteur associatif. Mais une partie de la population, en particulier les catégories les plus populaires, ne bénéficie toujours pas des équipements et des événements culturels publics ou soutenus par la puissance publique, qu’il s’agisse des théâtres, des salles de concert ou des musées. Les solutions proposées en faveur de la démocratisation de l’accès à la culture ont montré leurs limites, malgré quelques cas exceptionnels.

Les actions en direction des publics « relevant du champ social » sont légitimes mais ne touchent qu’un petit nombre d’individus. Les actions de médiation ne permettent pas toujours de s’adresser à ceux qui sont peu familiers de l’offre culturelle. Les actions de communication jouent parfois sur le registre de la connivence. Le numérique n’est qu’un outil qui ne peut à lui seul surmonter les inégalités sociales. Enfin, les institutions publiques ne disposent pas d’objectifs chiffrés, donnant lieu à suivi et évaluation, concernant l’élargissement de leurs publics aux catégories les plus modestes.

Ainsi, malgré les efforts déployés, une partie des habitants de notre pays se sent exclue des politiques publiques de la culture, avec le sentiment que « ce n’est pas pour eux ». Renverser cette situation suppose une démarche fondée sur deux axes devant converger pour permettre une réelle démocratisation de l’accès aux équipements culturels publics : l’optimisation de l’offre existante pour mieux servir les besoins des citoyens et une révision des modalités de gouvernance des institutions culturelles pour favoriser leur participation.

Bibliothèques et orchestres

La couverture du territoire en bibliothèques doit se poursuivre, les intercommunalités pouvant favoriser l’essor des politiques de lecture publique au niveau territorial ; ces bibliothèques devant pouvoir offrir à tous un accès aux contenus numérisés (livre, musique, cinéma, auto-formation). L’offre pédagogique des conservatoires de musique, d’art dramatique et de danse devrait être revue pour leur permettre d’offrir un enseignement de qualité – aujourd’hui réservé à une minorité – à tous ceux qui le souhaitent. La construction de salles de spectacle devrait être maintenue pour combler les manques, tout en favorisant l’essor du théâtre itinérant.

Chacune de la vingtaine des anciennes régions françaises devrait disposer d’un centre de culture scientifique et technique doté de moyens humains et budgétaires lui permettant d’irriguer le territoire. Elles devraient disposer d’un orchestre symphonique capable de se produire dans l’ensemble de son territoire et les maisons d’opéra devraient accueillir davantage de productions.

Chacune de la vingtaine des anciennes régions françaises devrait disposer d’un centre de culture scientifique doté de moyens lui permettant d’irriguer le territoire

Les FRAC (fonds régionaux d’art contemporain) devraient verser leurs collections dans des musées pour leur permettre de se consacrer à leur vocation initiale, à savoir les activités au plus près des habitants dans les lieux les plus éloignés des métropoles.

Tout monument ou musée public devrait disposer d’un espace destiné aux enfants, ainsi que d’un lieu propice à la pratique artistique ouvert à tous librement et gratuitement. Les théâtres et les salles de spectacle devraient accueillir des compagnies indépendantes et des troupes amateurs locales. Enfin, l’audiovisuel public devrait remplir ses obligations en termes de sensibilisation du grand public à l’art et à la culture.

Des instances qui associent les partenaires

Mais tout cela trouvera ses limites sans un changement en termes de gouvernance. En plus de favoriser l’implication des bénévoles et de travailler en étroite relation avec les maisons des jeunes et de la culture (MJC) ou leurs équivalents, les équipements culturels publics devraient se doter d’instances associant fédérations d’éducation populaire, comités d’entreprise, associations partenaires, réseaux jeunesse et sport.

C’est à ce prix que l’on fera vivre la notion de « droits culturels » (qui ne concernent pas uniquement le secteur culturel), reconnus dans deux lois de la République, et que l’on donnera une portée véritable au préambule de la Constitution qui dispose que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ».

L’ensemble des citoyens de notre pays pourront alors se dire qu’ils sont « chez eux » dans un théâtre, une salle de concert, un monument ou un musée public.

Jean-Michel Tobelem est l’auteur de « La culture pour tous. Des solutions pour la démocratisation ? » (Fondation Jean-Jaurès, 2016).

Commentaires

Une réponse à “Mon idée pour la France : « Pour un plus grand accès à la culture »”

  1. bonjour,
    merci pour cet article très intéressant, notamment la notion de changement de gouvernance.
    Dans les espaces culturels que je connais, musée, bibliothèque, et école de musique, à chaque fois, le constat a été fait de l’échec de faire venir les publics socialement en difficulté. Il me semble que, la plupart du temps, dans les institutions culturelles (bibliothèques, musées, etc.), les employés sont des personnes pour qui les codes nécessaires à l’utilisation de ces lieux sont une évidence, et dont les responsables ont un haut niveau de conceptualisation. Comment créer une bibliothèque utilisable pour des analphabètes ou des migrants quand la lecture est une évidence depuis son apprentissage? Bien sûr, des personnels spécifiques sont parfois intégrés mais en général à un niveau assez bas (la hiérarchie est tellement importante dans le fonctionnement institutionnel), avec des postes de médiateur par exemple.
    Oui, la gouvernance doit être changée, et peut-être aussi ce fonctionnement vertical?

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